Ici est posé un vieux journal, son papier couvre une partie de la table. Ce journal est matériel, car j’en perçois la dimension – l’espace qu’il occupe – et je sais qu’à l’aide d’instruments adéquats, je peux en donner une mesure certaine, avec laquelle chacun sera d’accord, taille et poids, étendue et masse. A force de l’observer, je commence à vouloir comprendre cette matérialité. Je prends donc une règle et une petite balance. Je pèse le journal, et un nombre entier apparaît sur la balance. Après quoi, j’applique ma règle graduée. Avec une docilité totale, le journal me donne sa mesure. Mais ma curiosité veut que le journal se révèle davantage. Je l’emporte en laboratoire et prie les physiciens – chimistes – d’évaluer cet échantillon de matière. Ils transforment, ils prélèvent – à peine l’ont-ils regardé – ils grossissent, ils calculent, ils opèrent leurs analyses. Ils m’adressent un document sur lequel est détaillé leur travail. Ce document est jonché de chiffres et de conclusions. Entre les mains, j’ai donc l’être de la matière. J’ai ce que la physique – autorité parmi les autorités – en tant que science de la nature, appelle « matière ».